Nous profitons de la situation exceptionnelle de la COVID-19 pour répondre à la question suivante : Une municipalité peut-elle refuser l’argent comptant comme mode de paiement lors de l’acquittement des taxes municipales?
Les paragraphes 14, 15 et 20 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 octroient compétence unique au Fédéral en ce qui concerne le cours monétaire, le monnayage, l’incorporation des banques, l’émission du papier-monnaie et les offres légales 1 . Cette compétence constitutionnelle se traduit au Canada par la Loi sur la monnaie 2 qui, d’une part, nomme le dollar comme l’unité monétaire dans l’ensemble du territoire canadien et, d’autre part, lui consacre une valeur nominale et constante 3 .
À cet égard, la réponse à la question réside essentiellement dans la portée contraignante des termes « ayant cours légal » 4 . À la lumière du texte législatif fédéral, aucune obligation explicite ne s’y dégage et, légalement, rien ne devrait contraindre un organisme municipal à accepter le numéraire. À l’opposé, une municipalité pourrait décider, par le biais d’une résolution municipale, d’exclure l’argent comptant comme mode de paiement des taxes municipales 5 .
Par ailleurs, la Cour du Québec 6 souligne que les articles 8 de la Loi sur la monnaie et 1564 du Code civil du Québec ne devraient pas s’immiscer dans la relation de créancier – débiteur de façon à contraindre le créancier à accepter le paiement en espèce que lui offre le débiteur, alors qu’il était déjà convenu que ce mode de paiement n’était pas autorisé.
Mentionnons également que la prépondérance du droit fédéral sur le droit commun québécois a pour effet d’appliquer presqu’uniformément la Loi sur la monnaie dans l’ensemble du pays où la règle de base subsiste; l’intention du créancier d’utiliser un certain mode de paiement doit être portée à l’attention du débiteur au moment de l’offre de paiement ou dans les conditions précédant le paiement.
Au surplus, à la lecture de la Loi sur la fiscalité municipale et des autres lois régissant les organismes municipaux 7 , la manière d’acquitter le paiement des taxes n’a pas été traitée par le législateur provincial. Par conséquent, en l’absence de disposition législative particulière et en vertu des articles 7 et 8 de la Loi sur la monnaie et 1564 du Code civil du Québec, il serait concevable pour une municipalité, en ce qui a trait à la perception des taxes municipales, d’exclure un mode de paiement via une précision à cet effet qui pourrait être incluse dans son règlement adopté en vertu de l’article 252 de la Loi sur la fiscalité municipale.
Néanmoins, une municipalité devrait agir avec prudence, puisqu’elle restreint ses citoyens à des méthodes de paiement qu’elle aura préalablement établies, au risque d’exclure ou de défavoriser une partie de sa population 8 .
Ainsi, il est opportun d’apporter une petite réserve quant à la possibilité pour une municipalité de refuser l’argent comptant, étant donné qu’une entité publique possède une responsabilité sociale particulière 9 . Or, à titre de gouvernement de proximité, une municipalité doit considérer répondre le plus largement et généreusement aux demandes de ses citoyens dans ce rôle qu’elle joue, et ce en soupesant, entre autres, les différents éléments menant à un tel changement dans la procédure de paiement.
Malgré des directives contradictoires des autorités fédérale et québécoise, force est de convenir que nous sommes en période de crise où une municipalité pourrait, effectivement, être habilitée à prendre des mesures d’ordre sanitaire d’envergure. Dans une situation de pandémie comme actuellement, l’exclusion du numéraire, pour le paiement des taxes municipales, serait conciliable au pouvoir réglementaire relatif à la salubrité et au bien-être général de la population 10 .
En définitive, une municipalité peut refuser un mode de paiement (argent comptant/chèque), à condition qu’elle le dénonce clairement lors de l’offre de paiement, soit par le biais d’une résolution municipale ou, idéalement, s’il s’agit d’une mesure plus permanente, en vertu de son règlement adopté conformément à l’article 252 de la Loi sur la fiscalité municipale. À vrai dire, les articles 7, 7.1 et 8 de la Loi sur la monnaie et 1564 du Code civil du Québec permettent le paiement en numéraire « ayant cours légal », mais nulle loi au pays n’oblige une entité à accepter un tel paiement en présence d’une indication contraire à cet effet.
En situation exceptionnelle (COVID-19), il pourrait être juste d’adopter une résolution en vue de suspendre le numéraire comme mode de paiement des taxes municipales, pour des raisons impératives de santé publique.
En espérant que la présente chronique saura vous éclairer, mais si de plus amples renseignements vous étaient nécessaires, n’hésitez pas à communiquer avec le cabinet.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), art. 91 (14), (15) et (20).
2 L.R.C. (1985), ch. C-52.
3 Loi sur la monnaie, L.R.C. (1985), ch. C-52, art. 3.
4 Supra note 3 aux arts 7 – 7.1
5 Guy DAVID, « Money in Canadian Law », (1986) 65 The Canadian Bar Review 192, p. 210-214; Bradley CRAWFORD, The law
of banking and payment in Canada, Canada Law Book, 2008- (mise à jour de novembre 2008), p. 2-32; Nicole L’HEUREUX et
Marc LACOURSIÈRE, Droit bancaire, 5 e éd., Éditions Yvon Blais, 2017, p. 86-87, n o 117.
6 Francesco c. Famous Payers Inc., 2003 CanLII 30680 (QC CQ); Voir aussi Duchesneau c. Cleary, 2003 CanLII 16941 (QC CQ).
7 Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ c F-2.1; Loi sur les compétences municipales, c C-47.1; Loi sur les cités et villes, c C-19;
Code municipal du Québec, c C-27.1.
8 Voir Evelyne PEDNEAULT, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, octobre 2011; Voir aussi
Jacques ST-AMANT, Pour votre bien : le remplacement des chèques par le dépôt direct aux fins du versement des prestations du
gouvernement du Canada, Service d’information et de protection du consommateur, 2015, p. 91-97; voir Paiement Canada,
rapport annuel, « Rapport 2019 sur les modes de paiement et les tendances des paiements au Canada » (2019)
en ligne :< https://www.payments.ca/sites/ >.
9 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur
le Canada (R-U), 1982, c 11, à l’art 15; Charte des droits et libertés, RLRQ c C-12, à l’art. 10.
10 Loi sur les compétences municipales, c C-47.1, à l’art 85.