Cinquième édition
Faisant suite aux quatre premières éditions du guide à l’intention des employeurs que notre équipe en droit du travail et de l'emploi a préparées en vue de faciliter l'adaptation de ces derniers à la situation actuelle de pandémie, le présent et cinquième guide a été élaboré dans l’optique de répondre à plusieurs interrogations d’employeurs en lien avec un éventuel déconfinement et, incidemment, une reprise des activités économiques.
Plus particulièrement, ces questions s’articulent autour de trois (3) grands thèmes dont nous traiterons distinctement, soit :
D’emblée, nous tenons à aviser le lecteur que cette cinquième édition du « Guide à l’intention des employeurs » ne constitue pas une opinion juridique et ne devrait pas être utilisé comme tel. Chaque situation devant être analysée à la lumière des faits qui y sont propres, nous vous suggérons de consulter afin d’obtenir des conseils adaptés à la vôtre.
Les travailleurs que j’ai mis à pied temporairement dans la foulée de la COVID-19 bénéficient-ils d’un droit de rappel au travail ?
Quoique la loi ne prescrive pas de droit au rappel, il importe, dans le cas des salariés syndiqués, de se rapporter à la convention collective en suivant les paramètres y prévus.
Cela dit, en cas de regain d’activité de votre entreprise subséquente à un éventuel déconfinement et, parallèlement, de réouverture de postes, il est recommandé de procéder au rappel des travailleurs que vous avez mis à pied avant d’embaucher de nouvelles personnes afin de combler ces postes. Généralement, il est plus prudent, dans ce cadre, de suivre l’ordre des dates d’entrée en service, si possible. En effet, à défaut, vous pourriez vous exposer à des recours pour cause de congédiement déguisé, à moins que votre impossibilité de réintégrer un ou plusieurs salarié(s) ne soit attribuable à un cas de force majeure ou à l’exercice d’un droit contractuel le permettant, ou encore résulte du consentement du travailleur, qui se serait trouvé un nouvel emploi pendant la période de mise à pied par exemple et, le cas échéant, du syndicat.
Lorsque j’ai procédé à la mise à pied de certains travailleurs, je ne leur ai pas donné d’avis écrit. Est-ce que cela aura des incidences légales ?
De manière générale, lorsque les travailleurs ne sont pas sujets à une accréditation, si une mise à pied est d’une durée inférieure à 6 mois, donc lorsqu’elle est dite temporaire, l’employeur n’est pas tenu de donner un tel avis. Il n’y est guère, non plus, lorsque la fin de la mise à pied résulte d’une force majeure, ce dont peuvent être qualifiées, selon les circonstances, les incidences de la COVID-19. Ainsi, si vous avez été dans l’obligation de fermer votre entreprise dans la foulée des mesures décrétées par le gouvernement provincial en lien avec la pandémie, puisque cette situation se qualifie de force majeure et dans la mesure où les mises à pied en résultent, vous n’étiez pas dans l’obligation légale de donner un avis écrit. De plus, l’employeur n’est pas tenu de donner un avis écrit au travailleur lorsqu’il compte moins de 3 mois de service continu, lorsqu’il a commis une faute grave, c’est-à-dire qui est suffisamment sérieuse pour rendre nécessaire la rupture immédiate du lien d'emploi, lorsqu’il a terminé la tâche pour laquelle il a été engagé ou dont le contrat de travail est expiré.
Outre mesure, l’omission de donner un avis écrit ou de donner un tel avis d’une durée suffisante selon le cas, emporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une indemnité compensatrice à son salaire habituel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour une période égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire de l’avis auquel il avait droit.
À titre d’employeur, quelles sont mes obligations en matière de santé et de sécurité au travail en vue d’une éventuelle reprise des opérations de l’entreprise ?
De manière générale, rappelons que tout employeur a, notamment, une obligation de s’assurer que l’organisation du travail ainsi que les méthodes et les techniques utilisées pour l’accomplissement du travail sont sécuritaires et ne sont pas attentatoires à la santé d’un travailleur, de même qu’une obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé, la sécurité ou l’intégrité physique de tout travailleur et de veiller à ne pas mettre en danger leur sécurité, leur santé et leur intégrité physique, ainsi qu’à celle des autres personnes se trouvant sur les lieux de travail ou à proximité de ces lieux, le tout conformément à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (RLRQ c S-2.1) (ci- après « LSST »). Le Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») édicte quant à lui une obligation, pour tout employeur partie à un contrat de travail, de prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité d’un salarié.
Ces obligations sont dites de moyens, et non de résultat, c’est-à-dire que l’employeur n’est pas tenu de garantir la sécurité, la santé et l’intégrité de tout travail par exemple, mais bien de prendre l’ensemble des mesures raisonnables qu’un employeur prudent et diligent, placé dans des circonstances similaires ou identiques, prendrait en vue de s’y conformer. En ce qui concerne plus particulièrement certaines aires communes, il nous apparaît opportun, dans le contexte actuel de pandémie, de rappeler certaines obligations impératives minimales d’ordre sanitaire auxquelles tout employeur est tenu en vertu du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RLRQ c S-2.1, r 13) (ci-après « RSST »), et dont l’accomplissement permet d’ailleurs de contribuer au maintien d’un milieu de travail sain et sécuritaire dans les présentes circonstances, soit :
Dans le contexte actuel, comment puis-je m’assurer de respecter les obligations qui m’incombent en matière de santé et de sécurité au travail ?
Les obligations des employeurs à cet égard doivent évidemment s’apprécier au regard du contexte actuel et de ses particularités. Incidemment, nous recommandons notamment à tout employeur, à l’occasion d’un retour au travail, de :
Il va de soi que nous vous recommandons également de suivre les développements subséquents à la date de rédaction du présent guide en vue d’adapter vos mesures de prévention à toute recommandation ou exigence ultérieure des autorités gouvernementales.
Si l’un de mes employés devait contracter la COVID-19 ou présenter des symptômes assimilables à ceux de la COVID-19 à l’occasion ou à la suite d’un retour au travail, quelles sont les mesures que je dois prendre ? Puis-je demander de cet employé qu’il ou elle me fournisse un certificat médical ?
En date de la rédaction de la présente édition du guide, toute personne contractant la COVID-19 doit s’isoler pour une période d’au moins quatorze (14) jours depuis le début de la maladie dans sa phase aiguë. Au terme de cette période, il est recommandé par la CNESST que la personne l’ayant contractée ait, préalablement à un retour au travail, présenté une absence de fièvre depuis une période 48 heures ainsi qu’une absence de symptômes aigus depuis 24 heures.
Dans une plus large mesure, dans le cas où l’un de vos employés devait présenter des symptômes semblables à ceux de la COVID-19 à l’occasion d’un retour au travail, il est recommandé, dans l’optique d’éviter tout risque de contagion en milieu de travail, de lui donner pour instructions de ne pas se présenter au travail, de suivre les mesures susmentionnées de manière préventive et, au besoin, de l’inviter à recourir et/ou recourir aux ressources médicales adéquates.
Dans cette mesure, il est également recommandé d’identifier les personnes qui sont entrées en contact avec toute personne ayant reçu un diagnostic positif de COVID-19 ou disant présenter des symptômes de la COVID-19 et de contacter les autorités de santé publique.
À tout événement, avant d’envisager la réintégration au travail d’un employé ayant contracté la COVID-19 ou présenté des symptômes semblables à ceux de la COVID-19, il est fortement recommandé que vous vous enquerriez auprès de cet employé des démarches entreprises par ce dernier (isolement, consultations médicales, etc.), de manière à vous assurer qu’il ne représente guère un risque pour vos autres employés. À cette fin, vous pourriez requérir un certificat médical de la clinique désignée d’évaluation COVID-19 où votre employé a été référé, le cas échéant. À cet égard, sachez toutefois que les frais afférents à l’obtention d’un certificat médical peuvent constituer des frais liés aux opérations et aux charges sociales de votre entreprise, et que si le travailleur dont vous exigez la production d’un tel certificat doit s’absenter de son quart de travail afin de l’obtenir, vous devrez lui payer son temps de déplacement, conformément à la Loi sur les normes du travail (RLRQ c N-1.1) (ci-après « L.N.T. »).
À défaut de respecter les obligations qui m’incombent en matière de santé et de sécurité au travail, ma responsabilité civile pourrait-elle être engagée ?
En théorie, la transgression par un employeur d’une obligation à laquelle il est tenu serait assimilable à une faute civile. Par ailleurs, s’il résulte de cette faute un préjudice à un travailleur par exemple, et que ce dernier parvient à démontrer un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, la responsabilité de l’employeur pourrait alors être retenue par le Tribunal, auquel cas l’employeur pourrait être condamné au paiement de dommages-intérêts.
Cela dit, en matière de santé et de sécurité au travail spécifiquement, et comme c’est le cas en matière d’assurance automobile, il importe de préciser que le législateur québécois a consacré à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP ») un régime de « no-fault ». Plus particulièrement, en vertu de ce régime, un travailleur qui subit une lésion professionnelle au sens de la LATMP sera indemnisé d’office par la CNESST, et ce sans égard à la faute ainsi qu’à l’identité du fautif, en contrepartie de quoi ce travailleur ne pourra toutefois intenter une action en responsabilité civile contre un autre travailleur, son employeur ou le mandataire de son employeur.
Ainsi, afin de déterminer si un travailleur peut valablement intenter une action en responsabilité civile à votre égard, il importe d’abord et avant tout d’évaluer si le régime de « no-fault » de la LATMP s’applique à votre situation.
Les travailleurs sont-ils, pour leur part, tenus à certaines obligations en matière de santé et de sécurité au travail ?
Oui. Dans le contexte actuel, il vous est d’ailleurs recommandé de rappeler aux travailleurs les obligations auxquelles ils sont tenus par la loi en cette matière, notamment :
Qu’est-ce que le droit de refuser d’exécuter une prestation de travail dont bénéficie un travailleur ?
Au Québec, la LSST prévoit que tout travailleur bénéficie d’un droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que son exécution l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger, sauf si le refus d’exécuter ce travail met en péril immédiat la vie, la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’une autre personne ou si les conditions d’exécution de ce travail sont normales dans le genre de travail qu’il exerce.
Puis-je éviter qu’un travailleur exerce son droit de refus ?
Un travailleur ne pouvant en aucun cas valablement renoncer à l’exercice du droit de refus qui lui appartient, il est, en théorie, impossible de garantir qu’il puisse être évité qu’un travailleur exerce son droit de refus.
Cela dit, en vue de réduire toute source potentielle de motifs raisonnables de croire qu’il résulterait de l’exécution d’une prestation de travail donnée un risque d’exposition à un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des travailleurs et de minimiser l’essor de situations potentielles de refus de travail, nous sommes d’avis que tout employeur doit s’assurer de mettre en place l’ensemble des mesures de prévention qui s’imposent, notamment au regard des obligations qui lui incombent en vertu de la loi et des mesures d’hygiène prescrites par les autorités gouvernementales.
« "Il y a beaucoup de droits de refus qui ont été exercés, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail — des salariés qui étaient anxieux, qui disaient “moi, il y a un risque à ma santé-sécurité, il y en a un autre qui tousse près de moi, il y en a un qui est symptomatique dans mon environnement”, donc qui revendiquent de refuser d’exercer leur travail, en raison de ce danger-là perçu", a résumé le ministre Boulet.
Là encore, "je vous dirais qu’à ce jour, il n’y a pas de droit de refus qui ont été acceptés spécifiquement en raison de la COVID", a précisé le ministre du Travail.
M. Boulet a rappelé que la CNESST emploie 300 enquêteurs et que ceux-ci "sont allés dans beaucoup d’entreprises" pour constater la situation. »
- Lia Lévesque, « COVID-19 et CNESST : aucun droit de refus de travailler n’a été accepté à ce jour », La Presse Canadienne, 8 avril 2020.
Si l’un de mes employés refuse d’exécuter sa prestation de travail, puis-je la faire exécuter par un autre travailleur ?
Dans le cas où, malgré votre diligence, un travailleur devait tout de même exercer son droit de refus, sachez d’abord qu’afin de l’exercer valablement, il doit aussitôt en aviser son supérieur immédiat, l’employeur ou un représentant de ce dernier. Une fois avisé, ce dernier doit convoquer un représentant à la prévention afin de procéder à l’examen de la situation et des corrections qu’il entend apporter.
Si, au terme de l’examen de la situation, la conclusion qui s’impose est l’absence de danger justifiant le refus ou que le refus repose sur des motifs qui sont acceptables dans le cas particulier du travailleur mais ne justifient pas un autre travailleur de refuser d’exécuter le travail, mais que le travailleur persiste néanmoins dans son refus, vous pouvez alors faire exécuter la prestation habituelle de travail de ce travailleur par un autre travailleur. Ce dernier doit être informé de l’exercice du droit de refus et des motifs pour lesquels il l’a été.
Puis-je affecter temporairement à une autre tâche un travailleur ayant refusé d’exécuter sa prestation de travail ?
Oui. Lorsqu’un travailleur exerce son droit de refus, son employeur bénéficie d’un droit d’exiger qu’il demeure disponible sur les lieux de travail et l’affecter temporairement à une autre tâche qu’il est raisonnablement en mesure d’accomplir.
Puis-je contester le refus d’un travailleur d’exécuter sa prestation de travail et, le cas échéant, comment dois-je procéder ?
Si vous croyez, malgré le refus d’un travailleur, que l’exécution de sa prestation de travail ne l’expose pas à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, n’a pas l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger, ou que les corrections apportées ont fait disparaître le danger, vous pourriez demander l’intervention d’un inspecteur de la CNESST, qui déterminera dans les plus brefs délais s’il existe ou non un danger justifiant le travailleur à refuser d’exécuter son travail.
Cet inspecteur peut, au moyen d’une décision motivée et confirmée par écrit, aller jusqu’à ordonner au travailleur de reprendre le travail, ou prescrire des mesures temporaires et exiger que les corrections nécessaires soient apportées dans les délais qu’il détermine, selon le cas.
À cet égard, il convient de préciser que dans le cas où plusieurs travailleurs devaient refuser d’exécuter un travail en raison d’un même danger, leur cas peut être examiné ensemble, sans qu’il n’y ait à avoir d’inspections distinctes, et faire l’objet d’une seule et même décision les visant tous.
Enfin, la décision d’un inspecteur peut faire l’objet d’une demande de révision et d’une contestation devant le Tribunal administratif du travail (ci-après « T.A.T. »), mais est néanmoins effective de manière immédiate, nonobstant une telle demande de révision.
Puis-je congédier, suspendre, déplacer ou, plus largement, sanctionner un travailleur qui a exercé son droit de refus de manière abusive ?
Oui. En théorie, un employeur ne peut congédier, suspendre, déplacer ou, plus largement, sanctionner un travailleur, ni exercer à son endroit des mesures discriminatoires, pour le motif qu’il a exercé son droit de refus, il peut cependant ce faire dans les 10 jours d’une décision finale si ce droit a été exercé abusivement, et ce conformément à LSST.