par Me Sebastian Fernandez, avocat
Le 11 mars 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé a déclaré l’état de pandémie en lien avec la prolifération de la COVID-19 à l’échelle internationale. Depuis, différents gouvernements ont pris des mesures draconiennes visant à freiner plus amples éclosions du virus sur leurs territoires respectifs. En outre, le 23 mars 2020, le premier ministre du Québec, M. François Legault, ordonnait la fermeture de toutes les entreprises et de tous les commerces pour une durée de trois (3) semaines, exception faite des activités et services essentiels 1 , et ce huit (8) jours après avoir annoncé la fermeture des bars, des cinémas et des bibliothèques en date du 15 mars 2020.
Dans ce contexte, pour plusieurs milliers d’entrepreneurs, ces mesures attribuables à la situation de pandémie, qui peuvent être qualifiées de situation de « force majeure », soulève de nombreuses questions auxquelles ils n’auraient probablement jamais cru être confrontés. Pour plusieurs, celles-ci concernent les incidences pratiques de ces mesures sur leur capacité à honorer leurs engagements contractuels et, incidemment, des incidences légales de défauts contractuels potentiels en regard des circonstances fort particulières inhérentes à l’actuelle situation de pandémie.
Dans le cadre du présent texte, nous traiterons plus particulièrement de la notion de « force majeure » en droit civil québécois ainsi que des incidences pratiques sur les contrats commerciaux et l’exécution de leurs obligations de la survenance d’une telle situation.
La notion de « force majeure » en droit civil québécois
Le Code civil du Québec 2 (ci-après « C.c.Q. »), au premier alinéa de son article 1470, prévoit que « toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer. » 3
Par ailleurs, le second alinéa de cette disposition définit la notion de « force majeure » en droit civil québécois comme étant « un événement imprévisible et irrésistible », auquel peut être assimilée « la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. » 4
Ainsi, afin qu’un événement puisse être qualifié de « force majeure », il doit être :
À ces exigences législatives, la doctrine et la jurisprudence ajoutent une troisième caractéristique à la notion générale de « force majeure » en droit civil québécois, soit celle de l’extériorité 7 . Plus particulièrement, cela signifie que l’événement imprévisible et irrésistible « doit se situer en dehors du domaine d’activités dont le débiteur est normalement responsable. » 8 Conséquemment, le débiteur doit d’avoir eu aucun contrôle sur l’événement ou ses conséquences 9 .
Au surplus, précisons qu’il doit résulter de la réunion de ces conditions une impossibilité d’exécution de l’obligation. En effet, lorsque l’exécution d’une obligation est simplement devenue plus onéreuse ou plus difficile plutôt qu’impossible, le débiteur ne saurait alors se rabattre sur la force majeure 10 .
À titre illustratif, en jurisprudence, nos tribunaux ont notamment considéré, à la lumière de ces conditions, que les situations suivantes comme des cas de force majeure :
En matière contractuelle, puisque l’article 1470 C.c.Q. n’est pas une disposition d’ordre public, il est loisible aux parties d’y déroger et d’aménager leur propre définition de la notion de « force majeure » 14 . Néanmoins, quoique les parties à un contrat puissent ainsi en élargir ou en diminuer la portée conformément à leur commune volonté, « de telles clauses n'en demeurent pas moins soumises au contrôle des clauses abusives quand elles sont stipulées dans un contrat d'adhésion ou de consommation. » 15
Incidemment, la première étape pour tout contractant désireux de connaître modalités d’application de la notion de « force majeure » à une situation donnée consiste à vérifier si chaque contrat concerné comporte une clause de force majeure où, en outre, la définition de cette notion pourrait différer de celle édictée à l’article 1470 C.c.Q. À cette occasion, il importe également de vérifier l’existence de modalités d’exécution d’une telle clause et, le cas échéant, de s’y conformer. À défaut pour un contrat de prévoir une clause, cette disposition trouve application 16 . Une fois les paramètres de la notion de « force majeure » applicable à votre situation établis, il convient d’évaluer, au cas par cas, la possibilité d’exécution de vos différentes obligations en regard des circonstances et des paramètres applicables.
La force majeure, motif d’exonération en matière contractuelle
En matière contractuelle, le débiteur en défaut d’exécuter son obligation contractuelle jouit de certains motifs d’exonération pouvant justifier l’inexécution d’une obligation, incluant la force majeure 17 .
Plus particulièrement, lorsqu’une obligation ne peut plus être exécutée par un débiteur en raison d’une force majeure 18 :
Par conséquent, ce n’est que lorsque l’impossibilité d’exécution survient alors qu’il n’était pas en demeure, mais lorsque le créancier aurait pu bénéficier de l’exécution de l’obligation en raison de cette force majeure, que le débiteur n’est pas libéré de son obligation 20 .
Dans tous les cas, le débiteur peut s’être expressément engagé même en cas de situation de force majeure 21 , ce qui constitue une renonciation valable aux règles qui précèdent.
En ce qui concerne la notion de « demeure », rappelons qu’un débiteur n’a pas forcément à être mis en demeure par l’envoie d’une correspondance formelle à cet effet 22 , en ce qu’il peut être en demeure de plein droit, c’est-à-dire par le seul effet de la loi, dans certaines situations, soit :
À cet égard, il importe également de se référer au contrat, puisqu’un débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter une obligation par les termes mêmes du contrat, et ce « lorsqu’il y est stipulé le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet. » 29
Par ailleurs, à tout événement, c’est au débiteur qu’il incombera de faire la preuve de la force majeure 30 .
De surcroît, précisons que le débiteur qui est ainsi délibéré de l’exécution de son obligation ne peut exiger du créancier l’exécution de son obligation corrélative, et que si cette dernière a été exécutée préalablement à la libération du débiteur, il y a lieu à restitution 31 . Toutefois, le créancier demeurera tenu l’obligation corrélative envers le débiteur si ce dernier a partiellement exécuté son obligation, et ce jusqu’à concurrence de l’enrichissement du créancier 32 .
En définitive, il en résulte qu’en cas de force majeure, conformément aux articles 1693 et 1694 C.c.Q., les parties sont « non seulement libérées de leurs obligations futures, mais il y a aussi lieu à restitution pour les paiements déjà faits. » 33
Enfin, pour certains types de contrats nommés, la loi prévoit des incidences particulières relativement à l’exécution d’obligations, de la résolution pure et simple à la réduction du contenu obligationnel. Par exemple, en matière de contrats d’affrètement au voyage, il y a résolution de plein droit du contrat, « sans dommages-intérêts de part et d’autre », s’il survient une force majeure qui rend impossible l’exécution d’un voyage avant son commencement 34 , alors qu’en matière de contrat de louage commercial, les menues réparations d’entretien sont à la charge du locataire, sauf si elles résultent, notamment, d’une force majeure 35 .
L’importance de la qualification de l’intensité de l’obligation
Comme nous l’avons vu précédemment, la force majeure au sens de l’article 1470 C.c.Q. constitue généralement un moyen d’exonération pour tout débiteur d’une obligation 36 , à moins qu’il ne s’agisse d’une obligation de garantie, auquel cas une défense fondée sur la force majeure est généralement irrecevable 37, sous réserve d’aménagements contractuels particuliers.
Ainsi, par exemple, les différentes garanties aux contrats de vente et de location relatives à la qualité, à la sécurité, à la durabilité, ainsi qu’à la conformité de biens trouvent application, nonobstant la survenance d’un cas de force majeure.
La restitution des prestations pour cause de force majeure La restitution des prestations entre les cocontractants s’opère dans le cas où une partie à un contrat aurait reçu un bien ou un service en vertu dudit contrat dont l’exécution des obligations devient impossible « en raison d’une force majeure » 38
En effet, comme nous l’avons vu précédemment, lorsqu’un débiteur est exonéré d’exécuter une obligation contractuelle pour cause de force majeure, il y a libération des parties en lien avec leurs obligations futures, mais également restitution des prestations déjà effectuées.
À ce sujet, il importe de préciser qu’en cas de perte totale ou d’aliénation d’un bien sujet à restitution, la partie qui a l’obligation de restituer est généralement tenue « de rendre la valeur du bien, considérée au moment de sa réception, de sa perte ou aliénation, ou encore au moment de la restitution, suivant la moindre de ces valeurs » 39 . Or, s’il est de mauvaise foi ou si la restitution des prestations, plutôt que d’être attribuable à un cas de force majeure, est plutôt attribuable à sa propre faute, « la restitution se fait suivant la valeur la plus élevée. » 40
Cela dit, il est cependant fait exception à ces règles lorsque le bien péri par force majeure, auquel cas le débiteur, quoique dispensé de toute restitution, doit céder au créancier toute indemnité qu’il aurait reçue pour cette perte, ou encore le droit à une telle indemnité, s’il n’en a pas déjà reçue, sauf si le débiteur est de mauvaise foi ou que la cause de la restitution est due à sa propre faute, auquel cas « il n’est dispensé de la restitution que si le bien eût également péri entre les mains du créancier. » 41
Finalement, dans tous les cas, le Tribunal jouit d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant, exceptionnellement, de « refuser la restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder à l’une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu » 42 . En outre, le refus de la restitution des prestations peut prendre appui sur la survenance d’une situation « absolument injuste et inéquitable » qui résulterait de son exécution 43 , ou encore sur l’absence de bonne foi ou une indication d’un stratagème ou d’une malversation 44 .
Conclusion
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1 La liste des activités et services dits essentiels est disponible au lien suivant : <https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/fermeture-endroits-publics-commerces-services-covid19/>.
2 RLRQ c CCQ-1991.
3 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1470 al. 1.
4 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1470 al. 2.
5 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, « L'impossibilité d'exécution », dans Droit des obligations,
3 e édition, 2018, no 2733, EYB2018THM244 (La référence).
6 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, « L'impossibilité d'exécution », dans Droit des obligations,
3 e édition, 2018, no 2734, EYB2018THM244 (La référence).
7 Frédéric LEVESQUE, « Exonération totale ou partielle », dans Précis de droit québécois des obligations, 2014, no 472, EYB2014DQO28 (La référence); Didier LLUELLES et Benoît MOORE, « L'impossibilité d'exécution », dans Droit des obligations, 3 e édition, 2018, no 2735, EYB2018THM244 (La référence).
8 Entreprises Beau-Voir inc. c. De Koninck, 2012 QCCS 3445, par. 261 (conf. sur ce point par 2014 QCCA 739).
9 Taillefer c. Cinar Corporation, 2009 QCCA 850, par. 72.
10 4381882 Canada inc. c. Riocan Holdings (Québec) inc., 2013 QCCA 327, par. 20; Environnement PH inc. c. Services Enviro-Mart inc., 2016 QCCS 6064, par. 53.
11 2750-0552 Québec inc. c. St-Charles-de-Drummond (Municipalité), 2001 CanLII 25196 (QC CS).
12 Alimentation Roy & Fils Ltée (In re): Commission des normes du travail c. Tremblay, 1984 CanLII 3261 (QC CS).
13 Starlink Aviation Inc. c. Sherbrooke (Ville de), 2008 QCCQ 6993, par. 78 (conf. par 2010 QCCA 801).
14 Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, « Motifs légaux d'exonération », dans Les obligations, 7 e édition par P.-G. Jobin et N. Vézina, 2013, no 844, EYB2013OBL8 (La référence).
15 Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, « Motifs légaux d'exonération », dans Les obligations, 7 e édition par P.-G. Jobin et N. Vézina, 2013, no 844, EYB2013OBL8 (La référence).
16 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1434.
17 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1470 al. 1 et 1693; Katheryne A. DESFOSSÉS, « Commentaire sur l'article 1597 C.c.Q. », dans Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), 2018, no 1597.570, EYB2018DCQ1120 (La référence).
18 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1693 al. 1.
19 9133-4218 Québec inc. c. 9243-9785 Québec inc., 2017 QCCA 274, par. 34.
20 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1693 al. 1.
21 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1693 al. 1.
22 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1594 al. 2.
23 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1597 al. 1.
24 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1597 al. 1.
25 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1597 al. 2.
26 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1597 al. 2.
27 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1597 al. 2.
28 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1597 al. 2.
29 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1594 al. 1.
30 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1693 al. 2.
31 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1694 al. 1.
32 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, 1694 al. 2.
33 Threlfall c. Carleton University, 2019 CSC 50, par. 98.
34 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 2029 al. 1.
35 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1864.
36 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1470 al. 1.
37 Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, « Classification des obligations d'après leur intensité », dans Les obligations, 7 e édition par P.-G. Jobin et N. Vézina, 2013, no 40, EYB2013OBL8 (La référence).
38 Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, par 102. Voir également : Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1699 al. 1.
39 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1701 al. 1.
40 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1701 al. 1.
41 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1701 al. 2.
42 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 1699 al. 2.
43 Fortier c. Compagnie d'arrimage de Québec ltée, 2014 QCCS 1984, par. 91.
44 Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, par. 63.